Loris Gréaud, Artiste protéiforme

Skills: comptes rendus d'expositions et articles

Texte publié sur Inferno –  2012

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Exposition Loris Gréaud / The Umplayed Notes / Galerie Yvon Lambert, Paris / Jusqu’au 15 décembre.

Octobre marque le retour de Loris Gréaud et l’aboutissement, pour lui, de bien des projets. L’artiste présente sa première exposition monographique The Unplayed Notes à la galerie Yvon Lambert à Paris, alors que son film The Snorks, a concert for creatures est projeté dans les salles de cinéma MK2 depuis le 17 octobre.

The Unplayed Notes présentée est une proposition déroutante à bien des égards. Le titre de l’exposition évoque les notes non jouées, le lien entre ce qui existe et n’existe pas, le passage d’une œuvre à l’autre, d’un mouvement à l’autre ; le silence qui compte autant que la note jouée, renvoyant aussi au silence de la pensée.

L’exposition laisse une large place à l’idée de glissement et de transformation ; cela a lieu tant au niveau des matériaux que du sens.

It’s opposite day today ! – qui est à la fois la première et la dernière œuvre de l’exposition –donne le ton : basée sur le renversement et le paradoxe. Cette œuvre, faisant allusion à la célèbre expression « opposite day », présente une série de dessins à l’envers, les volutes de colle servant à les fixer sont alors visibles tandis que les images ne sont pas accessibles au regard du visiteur, en s’approchant on aperçoit seulement son propre reflet. On pourrait considérer que l’œuvre ne se livre pas, et pourtant…

Au cours de la visite, on se trouve plongé tour à tour dans des univers particuliers au sein desquels les repères traditionnels ne fonctionnent pas ; il nous faut en acquérir de nouveaux, appréhender ce travail singulier en allant au-delà du jugement esthétique : les œuvres ont une histoire ou plutôt, une histoire est souvent à l’origine de l’œuvre. Pour saisir cette nouvelle – ou fausse – réalité, le visiteur doit, à la manière de l’artiste, creuser le sens de l’œuvre, en chercher l’origine.

The Unplayed Notes, est une exposition pensée par l’artiste comme un tout, un ensemble cohérent d’œuvres qui se vit, se découvre, et laisse une large place au ressenti, à l’expérimentation et à l’assimilation. Ce qui peut être en certains points déroutant. Le visiteur doit occuper cette proposition tant physiquement que par la pensée.

Déroutant, le travail de Gréaud l’est aussi par la diversité et la maîtrise des médiums utilisés mais aussi des formes et des sujets abordés. Les références sont nombreuses qu’elles soient mythologiques (Kraken), historiques (l’aspect de l’œuvre Tainted love fait clairement référence au Constructivisme russe) ou anecdotiques. Au point qu’il est parfois difficile de se rendre compte qu’il s’agit d’une exposition monographique. L’on s’interroge alors : qui est-il ? Que fait-il ? Est-il vidéaste ? Plasticien ? etc. La réponse est évidente pour les habitués du travail de Gréaud : il est tout à la fois. En véritable prodige interdisciplinaire, puisant dans tous les champs du savoir, il maîtrise de façon égale les sujets qu’il aborde et les matériaux qu’il utilise, sachant s’entourer lorsqu’il le faut et faisant ainsi des propositions artistiques sans cesse renouvelées.

La première salle présente une installation lumineuse composée de 200 pièces uniques de verre réalisée à partir de sabliers d’occasions achetés par l’artiste sur e-bay. L’œuvre dialogue avec le matériau qui la compose. Le temps écoulé, qui en est à l’origine, est à jamais figé dans le verre et est devenu une œuvre à la fois poétique et inquiétante tant cette espèce de nébuleuse dont l’intensité lumineuse dépend de la vidéo d’une chauve-souris volant au ralenti, pose question.

Tout aussi remarquable, Nothing left to falsify, résulte d’une série de crémation de ses épreuves d’artistes donnant ainsi forme à des paysages lunaires, volcaniques, un geste fort qui conduit à une parcelle où rien n’est plus mais qui résume la démarche de l’artiste : « pas d’économie d’idées, de formes de ma personne, mais une combustion perpétuelle ». La chaleur et l’énergie emmagasinées par cette crémation seront utilisées lors de l’exposition prévue au centre Pompidou et au Louvre en 2013.

Les œuvres partent ainsi de légendes, d’anecdotes telles que celle de la naissance et de la mort de Mark Twain, de la légende du Kraken, en passant par les cadenas du pont des arts, ou l’activité neurologique de l’artiste songeant à son travail… Chaque œuvre est chargée d’une histoire, d’un concept que l’artiste exploite au maximum avec brio.

Parallèlement à cette exposition, Loris Gréaud s’est intéressé au phénomène de bioluminescence et a réalisé un concert dans les fonds sous-marins. Pour réaliser ce projet artistique et océanique, l’artiste a fait appel au groupe Antipop Consortium pour composer la musique de ce concert abyssal. L’expérience donne lieu à un film inclassable de vingt minutes intitulé : The Snorks: a concert for creatures, résultat de ces nombreux mois de travail avec comme narrateurs David Lynch et Charlotte Rampling.

Un projet cinématographique fou avec un casting de rêve et une exposition monographique aboutie, voilà de quoi assurer une réapparition réussie sur la scène française.

 

Anne-Sophie Miclo

The Unplayed Notes, galerie Yvon Lambert / 108, rue Vieille-du-Temple, Paris 3e. / Jusqu’au 15 décembre 2012. / www.yvon-lambert.com
The Snorks : a concert for creatures / Film de Loris Gréaud. Diffusion dans les salles MK2. / www.aconcertforcreatures.com

The Snorks tour : tournée mondiale d’Antipop Consortium, accompagnée du film, d’octobre à décembre.
En Juin 2013, le musée du Louvre et le centre Georges Pompidou s’associeront pour présenter une exposition personnelle de Loris Gréaud.