Lee Ufan, l’art de la relation

Skills: comptes rendus d'expositions et articles

Texte publié dans Inferno #2 – printemps 2014

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Lee Ufan, La Peinture ensevelie… 2013 — Vue d’exposition « Lee Ufan », Kamel Mennour © Lee Ufan — Photo : Fabrice Seixas — Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris

Lee Ufan, La Peinture ensevelie… 2013 — Vue d’exposition « Lee Ufan », Kamel Mennour
© Lee Ufan — Photo : Fabrice Seixas — Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris

 

Figure majeure de l’art contemporain coréen, Lee Ufan a été très présent en France ces derniers mois avec, notamment, une exposition lors des Rencontres d’Arles, une autre à la galerie Kamel Mennour à Paris, et une œuvre présentée au Musée de la chasse.

Né en 1936 en Corée du sud, il a été en 1968 l’un des théoriciens et acteurs du mouvement Mono-Ha au Japon. Mal connu, ce mouvement est habituellement, et abusivement, comparé au minimalisme américain ou à l’Arte Povera en raison de sa simplicité formelle et de sa simultanéité relative.

Son œuvre correspond, d’après l’artiste, à « être au monde ». Mêlant son éducation coréenne, sa connaissance de la philosophie tant extrême-orientale qu’occidentale et ses nombreux voyages, il propose des œuvres très simples formellement mais présentant une réflexion très aboutie. Loin d’une quelconque appartenance nationale, son art, avec son vocabulaire épuré, fait de correspondances et de répétitions, acquiert une valeur universelle.

A minima

Souvent, les gestes de l’artiste sont très simples et consistent pour la partie sculptée de son travail à ne rien ajouter, ne rien ôter ; préserver la forme et le matériau afin de le faire entrer en résonance avec l’espace ou un autre objet.  L’artiste n’agit pas en dehors de ce qui est déjà là, les éléments sont choisis pour leurs qualités propres. Sa peinture est tout aussi minimale ; elle ne laisse apparaître qu’un geste. Des aplats de couleur, un ou deux par toile généralement, ne dévoilent leur complexité qu’après une observation attentive. Là, les dégradés subtils et la toile blanche dialoguent et nous transportent.

L’artiste laisse la parole aux objets, aux matières, et limite sa participation à une mise en relation, à une économie du geste. Face à ses œuvres, on devient songeur, on fait l’expérience de la matière puis on remarque que les qualités ordinaires des matériaux s’évanouissent pour laisser place à cet « autre chose » si rare dans les expositions.

Relatum

Relatum est le terme qu’utilise l’artiste pour nommer ses expositions et qui désigne la relation entre divers objets. L’artiste qualifie son œuvre « d’art de la rencontre ». Il y a toujours dans son travail une relation entre une chose et une autre (matière-espace, lumière-ombre, etc.) ou un jeu sur les oppositions – ou sur les connivences – qui crée un dialogue, l’expression d’une pensée.

Dans ses peintures, la relation se situe au niveau du jeu entre l’espace peint et le reste de la toile laissée blanche ; il y a une mise en résonance entre le support et la matière.

Depuis quelques années, l’artiste juxtapose dans ses sculptures les matériaux, principalement la pierre et le fer, et joue sur les oppositions de matières avec d’un côté un élément naturel et de l’autre un élément standardisé. Une fois mis en relation, ces éléments nous font face et semblent dialoguer : on passe ainsi de la nature à l’artefact.  L’ensemble forme un tout qui articule les deux « mondes » de l’Homme en un espace donné.

Locus

L’artiste déclare : «  l’objet dépend du lieu et le lieu a besoin de l’objet pour se montrer. Et ce qui m’intéresse, c’est d’étudier la relation topologique entre le lieu et l’objet »[1].

Dans ses installations sculpturales, espaces et matières se télescopent pour ne former qu’un tout laissant le spectateur songeur, en quasi méditation devant ses pierres simplement prélevées dans la nature, qui se dévoilent dans l’espace d’exposition.

On sent très vite devant ses œuvres une rigueur impressionnante, une parfaite maîtrise du sentiment de l’espace dans son travail où rien n’est laissé au hasard, où chaque ombre est pensée et voulue.

En outre, dans ce lieu de l’exposition, l’artiste évoque très souvent la disparition, qu’il ne peut, par définition, jamais matérialiser mais qui pourtant est présente partout, tant dans l’espace que dans les œuvres. Ne sait-on pas que chaque œuvre, chaque ombre, est vouée à disparaître à plus ou moins long terme?

C’est donc en songeant à cette absence imminente que l’on savoure chaque instant et chaque parcelle de ses expositions.

Anne-Sophie Miclo

 

[1] « Lee Ufan fan du vide », Libération, 29 août 1995