Rencontre avec Charlotte Charbonnel

Skills: Conversations

Interview publié sur Inferno – 2014

Les phénomènes naturels et physiques sont souvent le point de départ du travail de Charlotte Charbonnel. L’artiste utilise le concept « d’œuvre laboratoire » pour caractériser ses recherches qui se traduisent sous forme d’installations mêlant la sculpture, le son et la vidéo et au sein desquelles l’expérimentation occupe une place prépondérante. Charlotte Charbonnel met en relation les qualités plastiques et sonores des matériaux ; elle les fait résonner, vibrer, siffler… et, dans ce processus, une œuvre en amène souvent une autre. Pour Inferno, l’artiste a accepté de parler de son travail et d’évoquer ses projets.

Charlotte Charbonnel, ADN, aperçu de nuage, 2005-2013 – coll. De l’artiste. Photo F.Halna. © C.Charbonnel Installation, expérience éphémère (durée de vie du nuage: 60 heures). Dimensions variables, techniques mixtes, bocaux en verre de 3 litres

Charlotte Charbonnel, ADN, aperçu de nuage, 2005-2013 – coll. De l’artiste. Photo F.Halna. © C.Charbonnel
Installation, expérience éphémère (durée de vie du nuage: 60 heures). Dimensions variables, techniques mixtes, bocaux en verre de 3 litres

 

D’où vous vient cette fascination pour la vie, les métamorphoses et les sciences naturelles qui sont toujours présentes dans votre travail ?

Charlotte Charbonnel – Ça remonte à longtemps, j’ai toujours regardé les choses très en détail et eu envie d’aller où je ne pouvais pas forcément voir ou entendre. Il y a un peu cette idée de zoomer dans les choses. L’appareillage scientifique permet de dépasser nos propres sens. J’ai enregistré des sons que je ne pouvais atteindre physiquement, des prélèvements sonores. Je n’ai pas de connaissances scientifiques particulières, j’essaie par l’expérience et l’expérimentation de comprendre les choses, je travaille de façon empirique.

Dans vos travaux, le spectateur occupe une place prédominante ; pourquoi ? Selon vous est-ce que cela apporte quelque chose à l’œuvre ?

Charlotte Charbonnel – Je me questionne beaucoup sur la place du spectateur. Moi-même quand je vais voir une exposition je ne sais jamais vraiment quelle place avoir, parfois c’est très évident mais d’autres fois on ne sait pas quelle attitude adopter, comment regarder les choses. Des statistiques ont été faites et révèlent que les gens passent très vite devant les œuvres ; du coup, j’essaye dans mon travail de faire qu’à un moment le public puisse participer et que l’œuvre que je lui propose, fasse partie intégrante de son regard, lui donne envie d’y prendre part et qu’il ne soit plus seulement dans un rapport passif. Il y a une invitation à ce qu’il saisisse la pièce, qu’il essaye d’avoir un échange avec.

J’essaye vraiment de m’interroger sur la place du visiteur et tente de transcender les codes selon lesquels dans un musée il ne faut rien toucher ; j’essaye de conserver l’univers de poésie, de parenthèse sur les choses mais j’aime bien associer le visiteur à mon travail. Pour que l’alchimie se fasse j’essaye de trouver des mécanismes pour qu’il puisse y avoir une rencontre avec l’œuvre, je réfléchis au coté intuitif afin qu’elle ait lieu spontanément sans avoir besoin de mettre un cartel. Cette question du visiteur enrichit mon travail car quand il prend part à l’œuvre, elle ne m’appartient plus ; je n’ai aucune maîtrise là-dessus.

Dans l’élaboration de vos pièces, diriez-vous qu’il y a une sorte d’équilibre entre la composition de l’espace et celle du temps ? La notion d’espace est très présente dans vos œuvres – qui s’adaptent à l’espace dans lequel elles sont présentées ou qui sont conçues pour un lieu spécifique – mais la notion de temps est aussi présente alors comment composez-vous avec tout ça ?

Charlotte Charbonnel – La durée est une drôle de question parce que autant dans un film il y a quelque chose d’un peu autoritaire avec un début et une fin, pour saisir l’histoire il faut être là sur la durée, autant les choses sont différentes dans une exposition. Une fois de plus, j’ai peur d’ennuyer les gens donc j’aime l’idée de boucle temporelle où, à un moment donné, on saisi quelque chose. C’est ce qui est bien, je trouve, avec la sculpture, il n’y a ni début ni fin ; quand je travaille avec le son j’ai du mal avec l’aspect trop écrit ou trop scénarisé justement parce que ça relève d’un autre métier selon moi. L’art est un espace dans lequel on peut arriver à tout moment et en saisir quelque chose. Prendre le temps si le visiteur en a envie, mais que chacun reste libre du temps qu’il est prêt à mettre pour cette rencontre.

J’aime l’idée d’appréhender l’art librement ; par exemple, pour Vibrato con sordino présentée à la Verrière, on pouvait jouer avec les cordes, mais la pièce existait aussi sans que l’on soit obligé de l’activer. Certaines personnes sont restées longtemps pour observer la lumière et l’espace mis en valeur par l’œuvre et à en faire l’expérience sur la durée, d’autres ont eu une rencontre plus furtive avec l’œuvre. En général l’espace et le temps sont assez libres et, à partir du moment où je suis dans un lieu qui a quelque chose de particulier, j’ai envie de mettre cela en relation avec l’idée d’y passer du temps et de pratiquer l’espace.

Parfois vos œuvres sont éphémères, je pense notamment à « ADN de nuages » présenté récemment au musée Réattu, qui dure environ 60 heures. Comment est-ce que ça se passe ?

Charlotte Charbonnel – L’idée est que dans les bocaux l’eau et l’alcool créent un état entre deux eaux qui permet de faire un nuage de lait. À la suite de ça, l’œuvre évolue et les liquides finissent par se mélanger. Cela varie en fonction de la température, etc. donc la durée est variable. Au musée Réattu, nous avons établi un protocole : puisqu’il y avait trois bocaux, le personnel du musée refaisait un des trois tous les quatre jours. Cela permettait de voir l’évolution de la formation du nuage qui, au début, est concentré et qui, au fur et à mesure, prend l’espace du bocal et se fond dans les liquides.

Ce que j’aime dans cette œuvre c’est qu’une fois de plus, elle m’échappe car évidemment ce n’est pas moi qui refaisait toutes les semaines les nuages, donc j’avais imaginé un système avec des protocole illustré sur lesquel je montrais comment remplir les bocaux, cela devenait aussi l’expérience du personnel du musée et leur permettait réellement de se saisir de l’œuvre.

Pourriez-vous évoquer vos projets à venir ? Ou les œuvres que vous aimeriez faire ?

Charlotte Charbonnel – J’ai toujours dans l’idée des projets qui ont été très fort à un moment donné comme ADN de nuages ou Maquette pour colosse qui était faite avec de la limaille de fer ; à l’origine ce sont des projets qui étaient très ambitieux et que j’aimerais vraiment faire à une autre échelle. Ce sont des projets que j’ai toujours à l’esprit et qui attendent l’opportunité de pouvoir les réaliser.

À court terme, ma prochaine exposition personnelle aura lieu à ma galerie Backslash, en septembre 2014, donc là, je réinvente tout car j’ai 250 m2 à ma disposition – contrairement à la dernière exposition dans laquelle j’avais mêlé des œuvres existantes à de nouvelles pièces – c’est un gros événement pour moi !

Parallèlement à cette préparation d’exposition, je vais en résidence à Rennes à partir de janvier dans un centre d’art sonore : le Bon Accueil. On m’a donné un matériau de base qui est de travailler avec la collection patrimoniale du CHU, composée d’instruments médicaux et j’espère que ces productions trouveront un écho avec l’exposition de septembre à Paris.

Il y a également les dix ans du centre d’art contemporain la Maréchalerie avec une exposition intitulée A postériori, qui va reprendre les 30 artistes exposés ces dernières années. Il ne s’agit pas de présenter à nouveau ce que l’on avait fait pour la Maréchalerie à l’époque mais plutôt de faire état de notre travail aujourd’hui. J’ai décidé de présenter une maquette en cuivre de Symphonie pour orgue – l’œuvre que j’avais présenté au Palais de Tokyo – cette maquette n’a jamais été montrée et je trouvais que ça avait du sens de le faire dans le cadre de cette exposition.

Enfin, je viens de recevoir une bourse de la DRAC pour mener à bien un projet que j’ai imaginé lors d’un voyage en Islande et qui consiste à faire chanter des cailloux. Lors d’une promenade près d’un lit de rivière j’ai entendu par le ruissellement de l’eau sur des cailloux une sorte de murmure que j’aimerais reproduire…

Charlotte Charbonnel, Maquette pour colosse, 2011 © C.Charbonnel

Charlotte Charbonnel, Maquette pour colosse, 2011 © C.Charbonnel

 

Interview réalisée par Anne-Sophie Miclo

http://charlotte-charbonnel.com/
http://www.backslashgallery.com/